Je m’appelle Jacqueline Sicre, mais appelez-moi Jackie ! Je suis née le 7 octobre 1932 à Langon et j’ai grandi à Bordeaux, rue Godard mais plus tard, nous avons déménagé dans la rue Lagrange.
Avec mes grands-parents maternels, on vivait dans un appartement qui était au deuxième étage d’un immeuble. Mes parents ne vivaient pas avec nous, ils étaient au Maroc car mon père était douanier. Pour se chauffer, nous avions un poêle et une cuisinière et ils laissaient les portes ouvertes l’hiver pour réchauffer tout l’appartement. Mon pauvre grand père a eu une conjonction cérébrale à l’âge de 45ans, mais il a vécu jusqu’à 63 ans ! Il boitait et marchait avec une canne. Ma grand-mère elle, s’occupait de moi et de son mari. Mon quartier n’a pas été touché par les destructions. Pour moi, les bombardements n’ont touché que la base navale. Non, attendez… je me souviens que dans une rue à côté, un avion français a fait tomber ses bombes par inadvertance, ah, le pauvre homme est mort en se crashant, c’était… place Chapelier ! Beaucoup de maisons ont été détruites et il y a eu beaucoup de morts.
C’est la journée du 18 juin m’a profondément marquée, vous savez. Les allemands étaient passés tôt le matin pour dire à tous les habitants de partir en urgence, car Bordeaux était miné. Il y a eu un moment de panique. Nous avons fui vers Langon, avec mon grand-père handicapé qui ne pouvait plus marcher et nous avons atteint la gare surchargée. Mon grand-père a pu quand même s’assoir sur les toilettes du train ! Nous avons rejoint notre maison de Langon, c’était une propriété où mon grand-père faisait du tabac lorsqu’il le pouvait encore. Là-bas la vie y était plus douce, car à la campagne on mange mieux, il y a toujours de tout grâce aux fermiers ! En 1939, mes parents sont rentrés d’Algérie et ils collaborèrent, à mon grand regret, avec les allemands. Ils divorcent à la fin de la guerre et mon père se remaria plus tard. En 1945, ma mère revient vivre chez mes grands-parents, mais elles ne les aidaient pas malgré le handicap de mon grand-père et elle leur a volé toutes leurs économies ! Mes meilleurs souvenirs d’enfance sont ceux avec les bonnes soeurs qui m’ont éduqué, elles étaient très sévères, mais elles m’ont tout appris et aussi le sens du travail ! Elles ont fait de moi un adulte responsable. Mes passions ? Je suis une grande lectrice de toujours, petite à la récréation, je m’asseyais sur un banc et je lisais, c’est un plaisir pour moi ! Même si on lit parfois des choses tristes ! J’aime aussi le tricot ! A mes 18 ans en 1950, j’entre à la croix rouge ! En 1952, j’ai eu la mauvaise idée de me marier avec un coureur qui était très dépensier, heureusement j’ai obtenu mon divorce en 1962 ! En 1967, je me suis remarié avec un chauffeur de bus de la compagnie générale des transports.
Mon grand-père décède en 1958. La même année, je deviens infirmière spécialisée en psychiatrie au « château Picon », aujourd’hui c’est Charles Perrens me semble-t-il. Je travaille aussi à St André et au dispensaire de la Bastide, qui sert d’infirmerie pour une école et pour le quartier. Les changements sociétaux après-guerre ? je les ai plutôt bien vécus, ce n’était pas brutal ! Tout était plus calme que pendant la guerre. D’ailleurs, je ne me souviens même pas de quelque conque affiches de campagne pour la reconstruction. C’est vrai, d’ailleurs je n’allais jamais dans les quartiers en reconstruction, car ils étaient à l’opposé. A Bordeaux, on a quand même été épargnés, contrairement à d’autres villes ! Je pense que grand parc était étrange pour nous, nous n’avions pas l’habitude de ces grandes constructions ! J’ai des souvenirs de Mériadeck avant sa reconstruction, ohhh c’était glauque ! rempli de SDF, les immeubles étaient immondes, avec des déchets dans les couloirs, il – y- avait-de-tout ! Un quartier terrible, si je devais y aller, mon nouveau mari m’y accompagnait pour ma sécurité car s’était coupe gorges ! »
Je m’appelle madame M. Je suis née en avril 1921 à Tourcoing et je suis arrivée à Bordeaux en 1945.
Jusqu’à mon âge adulte, j’ai vécu avec mes parents, mes 3 soeurs et mon frère, dans une maison particulière très grande, avec un beau jardin à la campagne, avec l’eau et l’électricité. Le chauffage était un poêle à charbon. Quand la guerre à été déclarée, nous sommes directement partis vivre au centre de Tourcoing et nous avons quittés cette belle maison. Mon père était négociant de laine et voyageait beaucoup en Afrique pour son commerce. Ma mère était femme au foyer. L’année de mes 23 ans, je me suis inscrite à la Croix Rouge pour aider la France, être utile. À la Libération, j’ai aussi aidé les Francs-Tireurs et Partisans mais aussi les Forces françaises Intérieures.
J’étais ambulancière vous savez, et je parcourais la France avec mon ambulance pour emmener les résistants blessés auprès des chirurgiens pour des opérations de fortune… il fallait être solide ! Les opérations étaient terribles, c’étaient souvent des amputations, improvisées dans des granges, au mieux dans le salon de châteaux. J’assistais les chirurgiens durant leurs opérations, en tenant les patients et en récupérant les membres des pauvres soldats mutilés. Je suis émue par ces souvenirs… C’étaient des expériences dures mais humaines et parfois même risibles au vu du ridicule de certaines situations (rires). J’ai fait ça pendant de long mois pendant la débandade allemande, lorsque les résistants les chassaient de la France !
Vous savez, ces expériences m’ont forgé en tant qu’être humain mais aussi en tant que femme. J’étais dans un milieu d’hommes, vous voyez ? et après la guerre, la femme n’avait pas une place comme maintenant. Ah ! j’ai oublié de vous dire ! Juste avant cette expérience à la Croix Rouge, j’ai vécu un an à Paris, où j’avais commencé des études de chants au conservatoire de musique. J’aurais pu être une bonne chanteuse (rires) ! A la libération, le bonheur a explosé, c’était extraordinaire, tout le monde s’embrassait, se tombait dans les bras ! Nous étions enfin libres ! J’ai même pu rencontrer le grand Charles de Gaulle à l’aéroport de Bordeaux. J’avais été dépêchée avec une de mes collègues, en cas d’attentat sur sa personne. Nous avions une toute petite ambulance, avec son grand corps il n’aurait même pas pu entrer dedans ! (rires) ; car vous ne le savez peut-être pas mais après la guerre, la France manquait de tout et des garagistes fabriquaient des ambulances avec des épaves de voitures !
A la fin de la guerre, je ne suis pas rentrée chez mes parents, mais nous étions « entre filles » de la Croix Rouge. Les problèmes politiques et de la Reconstruction nous dépassaient complètement et ce n’étaient pas du tout leurs sujets de discussion. Ce qui nous intéressait à l’époque c’étaient leurs problèmes de jeunes, à 20 ans on ne pense qu’a l’amour et à l’amitié, n’est-ce pas ?! J’ai rencontré mon mari à la fin de la Guerre, il était interne dans les hôpitaux et il venait de Bordeaux, voilà pourquoi je suis sur la région ! Au début de notre mariage, nous avons vécu dans une échoppe sans confort prêté par mes beaux-parents. Les commodités étaient dans le jardin et il y avait une salle de bain humide et froide où il fallait allumer un poêle à 5 h du matin, si on voulait se débarbouiller à 7h ! La maison était de briques, sans isolants. C’était difficile. Je pense que les destructions à Bordeaux ont eu du bon malgré tout, la ville est devenue plus confortable grâce aux nouvelles constructions ! Ce n’était plus la vieille ville insalubre que l’on avait connue avant !
Lorsque mon mari est devenu chirurgien, nous sommes partis vers la campagne et nous avons acheté une jolie maison avec un petit parc, avec le confort. Mais malgré tout, tout y était modeste. Je vais vous donner un exemple : nous n’avons jamais changé notre veille baignoire rouillée ! Mon mari ne voulait pas d’une maison trop jolie pour y élever des enfants ! Pour les vacances nous partions en Bretagne, respirer le bon air, dans une maison de famille. Oh ! mon mari et moi avons même fait des voyages aux Etats-Unis d’Amérique pour des congrès médicaux ! A part ça, nous ne sortions pas beaucoup, mais en revanche nous nous évadions dans nos livres ! Mon mari et moi avions une grande bibliothèque que je possède toujours, avec des livres en latin s’il vous plait ! Pour nous, l’après-guerre ne pouvait être que positif : c’était un élan de RE-CREATION, de projets, tout le monde se mettait à refaire des choses, malgré le poids des souvenirs !
Je m’appelle Renée Dupouy, je suis née en 1930 à Pau. J’ai grandi dans une scierie en Aquitaine, mon père en était le propriétaire. Je me souviens qu’une cabane très grande hébergeait les 8 ouvriers bûcherons. Ma mère faisait la cuisine et le ménage pour tout ce petit monde ! Mes parents, moi et mon frère, on dormait dans une roulotte à part. Mon père était très sévère et exigeait une attitude irréprochable pour chacun d’entre nous.
Si vous m’aviez vu pendant la guerre, ah, j’étais une très belle jeune femme ! La preuve sur cette photo ! et Dieu sait si les hommes me “tournaient autour”, notamment dans la scierie ! Mais ça a énervé mon père et un jour il a réuni ses ouvriers pour leur dire d’arrêter de me faire la cour ! Ils sont devenus courtois et gentils après ça ! Ne valait mieux pas énerver le patron ! Vers 1944 il me semble, mon père à vendu la scierie car il était épuisé et on a acheté une maison à Gazinet. Peu après, je suis devenue apprentie coiffeuse. Dans le quartier, on voyait encore des Allemands ! Ils ne sont pas partis tout suite, ça a pris des mois ! Les soldats s’asseyaient souvent devant mon salon de coiffure, pour me regarder ! Mais au bal, lorsqu’un l’un d’eux m’invitait, mon frère lui disait « femme à moi » comme un homme des cavernes ! Et les allemands qui étaient très jeunes et pas bien méchants, me laissaient tranquille !
Après 1945, je suis partie m’installer chez des amis de la famille à Blaye et j’ai été embauchée dans le salon de coiffure face à la citadelle. Je n’ai pas eu trop de vacances au cours de ma vie. Les seuls repos que j’avais c’était le week-end ! Je travaillais même parfois très tard, car vous savez, en coiffure, il faut prendre le client tant qu’il est là ! Pour moi, l’après-guerre, ce sont surtout des souvenirs de bals. J’aimais tellement danser que pendant la débâcle allemande, j’y allais quoi qu’il m’en coûte ! Eh oui, car croyais le ou non, j’y allais en me faufilant dans les fossés ! (rires). Mais à leur départ bien sûr, on ne se cachaient plus et on allait danser comme bon nous semblait ! Je n’ai jamais eu de loisirs, à part les bals car je donnais toute ma paye à mes parents. Je n’avais le droit de garder de l’argent que pour ses tickets de bus. Je me suis marié à un bel accordéoniste et je continuais à aller danser, mais avec Monsieur bien-sûr ! Ce sont mes plus beaux souvenirs. Si j’ai un souvenir d’un projet de Reconstruction après la guerre ? C’est une bonne question… non aucun ne vient à l’esprit. Je n’ai vu ni affiches, ni travaux mais chez nous, les allemands étaient gentils, ils n’ont rien cassé, juste volé, ils nous ont pris beaucoup de choses ! Mais à Blaye, c’était différent, ils étaient plus méchants, mes amis venaient même me chercher après le travail pour me protéger, ils faisaient attention à moi !
Je m’appelle Lucienne Pantet et je suis née en 1932, j’ai grandi dans une ferme, chez mes parents à Saint-Martin Gullier près de Saint-Jean d’Angély. Mes parents étaient agriculteurs et j’ai commencé à travailler à la ferme à l’âge de 14ans. Près de chez nous, je me souviens qu’il y avait un camp d’aviation, celui de Fontenay. Il a été occupé par les Allemands et quand ils sont partis, les Anglais ont pris la relève !
Je me souviens de la fois où j’ai vu les dégâts des bombardements à Royan, mon dieu ! Tout était détruit ! mais il est vrai qu’après ça, il y a eu de belles reconstructions modernes ! J’ai vu aussi la démolition d’un blockhaus, mais ça c’était après la guerre ! C’était un beau symbole, les gens avaient tellement souffert. En 1952, je me suis mariée avec un gendarme et comme les femmes de gendarmes n’avaient pas le droit de travailler, je suis devenue mère au foyer. On a déménagé de nombreuses fois, on à été dans le nord, dans le Gard et puis on a fini en Gironde. Les premières années de mon mariage ont été si dures, je ne voyais mon mari que 3 mois par an… Eh oui, mon mari, comme tous les jeunes de l’époque avaient été recrutés pour les problèmes d’indépendance en Algérie, en Tunisie et au Maroc. J’élevais seule mes enfants en bas âges.
Mais la vie d’après-guerre était tout à fait différente, on a commencé à voir des machines à laver, des frigos ! La priorité était plus pour l’achat d'électroménager que pour du mobilier ! Je me souviens qu’en 63, dans la caserne de gendarmerie où je vivais avec ma famille, on devait laver notre linge à la marre ! Bon sang ! Quelle horreur, c’était sale et ça ne sentait pas bon du tout. Moi je préférais prendre l’eau à la pompe, on buvait aussi cette eau, mais elle n’était pas très propre ! Mais on était plus solides que maintenant ! (rires) Les WC, c’étaient un trou au fond du jardin commun ! On se chauffait au bois ou au charbon, on ne connaissait pas autre chose ! Heureusement, que ça s’est modernisé depuis ! Si j’ai fait du tourisme ? Non, pas beaucoup ! Nos distractions étaient le cinéma et les bals ! La quantité de distractions après-guerre est passée du simple au double ! En passant par Paris, mon mari avait vu une télévision dans une vitrine, il est revenu tout content, il nous en a parlé longtemps de sa première télé, mais il n’y avait qu’à Paris qu’on pouvait voir cela, c’était trop moderne ! Chez nous la télé est arrivée qu’en 1960 et on a tous regardé Zorro ! Ah… Pour moi les années après la guerre, ce sont un mélange de bons et de mauvais moments, ça dépend comment on prend les choses : du bon ou du mauvais côté !
Bonjour, je m’appelle Monsieur H, je suis né le 27 aout 1924 à Bordeaux. J’y vivais encore à la Reconstruction. Mes parents étaient locataires d’un petit appartement puis d’un plus grand après 1934. Puis ils ont fini par être propriétaires d’une maison individuelle avec jardin à Talence en 1939. On avait de la chance, on a toujours eu le chauffage et l’électricité ! Mon père était policier et ma mère, femme au foyer ! Mon souvenir d’enfance le plus marquant ? Etrangement, mon souvenir le plus marquant ce sont les marchandes ambulantes qui criaient dans ma rue et qui vendaient des sardines sur leurs charrettes !
Les changements après la guerre ? Oh là là mon jeune ami ! ils furent énormes ! J’ai repris mes études que j’avais arrêté à cause de la guerre pour préparer le concours d’officier de police. Et j’ai cumulé deux emplois : imprimeur et policier ! Mais vous savez, malgré mes deux travails, on ne roulait pas sur l’or mais en revanche j’ai eu une activité sportive dense, je faisais du vélo, de l’escrime et de la course. Je me suis mariée à une charmante jeune-femme et malgré les difficultés matérielles, nous étions un couple heureux, plein de bonne humeur. Nous avions des fous-rires et on avait un état d’esprit très positif avec la fin de la guerre. D’ailleurs, vous savez, la libération a été un moment très important pour nous tous, on est passé d’une vie avec nos parents tristes et angoissés, à une vie où on respirait enfin, et avec toutes les découvertes d’une vie d’adulte. Quand on a emménagé tous les deux avec ma femme, le confort nous était inconnu mais finalement avec mon salaire d’officier de police, on a pu s’offrir 2-3 petites choses modernes comme notre mobilier. Mais je me souviens d’avoir fabriqué notre premier lit avec du bois de récupération et notre matelas avec de la toile et du crin de cheval !
La Reconstruction de Bordeaux, vous dites ? Elle n’a réellement commencé qu’en 1957, avec le lac et Mériadeck, avant elle avait à peine commencé et beaucoup de gens ont vécu dans des taudis, des baraquements de fortune. J’ai trouvé cette reconstruction très lente. Ma femme et moi sommes ensuite partis de Bordeaux dans les années 60 et a retrouvé une ville totalement transformée dans les années 70 ! J’étais plutôt satisfait de cette nouvelle Bordeaux, sauf Mériadeck que j’ai toujours trouvé affreux et sans âme ! Après la guerre, ma vie n’a pas vraiment changé, j’ai continué mes activités sportives ! J’ai fait de l’escrime et du vélo jusqu’à mes 78 ans ! Oui Madame ! Ces activités m’ont permis d’avoir une vie sociale bien remplie ! Avec ma femme, on a voulu voir de nouveaux horizons et des vacances dans la campagne proche, nous avons décidé de visiter les pays alentours comme l’Espagne ! Ah ! Une petite dernière chose, vous saviez que j’avais été figurant pour le cinéma et notamment pour les studios de la côte d’argent d’Emile Couzinet ! Eh oui Madame, je suis célèbre ! (rires)